J'ai...oui, je suis morte, et c'est pour ça que je suis si froide. Mais...non, normalement, je ne devrais pas le sentir. Je ne ressens plus rien, puisque je suis morte, donc pas de froid. Alors...pourquoi ?
Je ne me souviens de rien. Je discutais, avec...Sibylle et...comment s'appelait-il... ? Cer...Corso. C'est ça, Corso. Je parlais avec eux. Et mes dernières pensées s'estompent progressivement jusqu'à un noir béant, absolu.
Le même noir que quand je suis...
Celui-là. Mais si j'ai froid, ce doit être pour une autre raison. Je frissonne, je ne devrais pas, tout comme je ne transpire pas, je ne frissonne pas, c'est abérrant, ce n'est pas...naturel.
Et j'ai encore...disparu, en esprit. Combien de temps ? Une heure ? Un mois ? Un siècle ?
Je suis...je suis au milieu du village. Quelque chose. Il s'est passé quelque chose. Pendant que je n'étais pas là. Il y'a ces traces, toutes ces traces et...et ce vide. Il n'y a plus personne, alors que la place était remplie.
Je suis encore...toute seule.
Comme toujours.
Ils sont partis. Ou ils sont morts. Ou ils ont été mangés. J'en sais rien. Mais je me retrouve encore livrée à moi-même. Une fois de plus. Faudrait-il que je m'y fasse ?
Je ne suis pas pisteuse, mais tout ce bazar, c'est récent. Tout chaud.
Tout brûlé. Il y'a eu du feu. Tout près de moi. De l'endroit où j'étais. J'ai toujours craint les flammes, comme tout personne équilibrée qui se respecte, si je puis encore revendiquer cette qualité.
Et cet incendie, ce grand incendie, je ne l'ai même pas remarqué.
Ce n'est pas normal. Je me concentre. Mes pensées. Je les ai toutes, plus de rideau comme avant, plus ri...
Non.
Ca recommence. Cette fois, la zone de non-droit est toute petite, ridicule, mais elle tient bon. Je ne saurai pas. Je me prends la tête entre les mains, mais j'éloigne ma main gauche, horrifiée par le contact.
Ma main gauche. Elle devrait être blanche, lisse.
Non. Elle a brûlé. Ma main était dans le brasier. Tout le dos est à vif. Mais je ne souffre pas. La paume aussi, la paume aussi est brûlée, est grêlée.
Ma main...
J'attrape mon poignet, réflexe imbécile et inutile. La brûlure s'est arrêtée au milieu de l'avant bras, net. Le reste est poussiéreux. Je regarde autour de moi. J'ai du tomber, rouler sur un sol assez sec pour éteindre la flamme.
Je pensais à Lavoisier, tout à l'heure.
Je ne savais plus pourquoi, maintenant, je m'en souviens.
Lavoisier pouvait me rendre la vie. Mais...s'il me rendait la vie...je souffrirais, de cette main ?
C'est étrange. Comme si mon corps était resté à seize ans, mais que ma main, elle, avait bel et bien vieilli. De grandes taches brunes alternaient avec des rainures blanches. Le feu est joueur, il fait de l'art en se mouvant.
J'ai envie que tout s'arrête. Tout. Je me laisse tomber à genoux. Nul espoir de suicide, je ne ferais qu'abîmer mon corps un peu plus. Un très faible espoir de résurrection...avec maintenant une main hideuse.
Le sort s'acharne sur moi. Si Dieu existe, je l'ai offensé pour qu'il me traite ainsi. S'il n'existe pas...et bien c'est que le Diable, lui, m'a choisie. Pourquoi faudrait-il un Dieu ? La Terre est trop horrible pour qu'il existe des anges, mais des démons...
Je veux que ça s'arrête.
Je veux que ça s'arr...
Flash. Une image, une image horrible. Une scène, une femme monstrueuse, qui se déplace à quatre pattes.
Fin du flash.
Je tressaille. La chair de poule a repris.
Je ne dois pas rester ici. Le monstre...il y'avait un monstre...mais quand ? Il y'a une heure ? Il y'a soixante-dix ans ? Il...il ne dois pas me retrouver. Je dois partir, vite. Je me lève, je cours, je m'enfonce dans la forêt, au hasard.
Je n'ai même pas remarqué le corps de la Mère.