Fuite dans la forêt

Pauvre gosse... Si jeune, et déjà si adulte. Elle n'est pas différente des autres. Règle n°1 ne pas se laisser attendrir.

Visiblement elle a tout même une culpabilité...
C'était un accident, ça arrive.

C'est reparti, tu recommences. Pas de pitié, ou tu es mort.
L'ignorance pour bouclier, le mépris pour armure, et mon dédain sera mon arme.

Oui, c'est mieux ainsi. Donc Céli passera dernier, avant elle il y a Mike...
A la réflexion faite c'est peut être pas si mal si je passe avant.
Le pont resistera peut être pas à son poids qui doit approcher le quintal.
D'ailleurs, je ne supporte plus cette odeur ni cette chaleur.
A mon avis la Mort doit sentir à peu près comme ça...
Si je reste encore là plusieurs minutes je vais devenir fou, c'est certain, et cette chaleur entêtante et...

Arrête de pleurnicher, et agis.

Donc, je traverse.

Un regard à la jolie paire, je ramasse mon sac et je me lance.

En agrippant la corde, je retrouve mes anciennes sentations, des souvenirs que j'ai essayé d'effacer... J'ai honte à l'avouer mais ça m'a manqué... Ce petit moment d'excitation, avant de se lancer, ce frisson qui vous prend dans le bas du dos, et remonte le long de la colonne.
Je suis accro à l'adrénaline, y a pas photo.

Je lève mon bras gauche avec difficulté, mon épaule est toujours douloureuse, mais j'aurai besoin de mes deux bras.
Un instant, je ferme les yeux, quelques secondes de concentration.

J'avance.

Le bois hurle et agonise, il pleure et gémit... Mais il ne bouge pas.
Me voici à mi chemin.
C'est l'endroit fatidique, ou tout peut lâcher d'un moment à l'autre.
Je m'y attarde pas plus...

CRAC !

Et merde, j'aurai du être plus prudent ! Sous mes pieds, la planche qui était là est tombée dans l'abîme. Et moi, je me suis rattrapé de justesse. Je respire un grand coup. Y a pas a avoir peur, j'ai connu pire... Enfin je crois.

Bon dieu, la terre ferme, y a que ça de vrai.
Je m'appuie, sur l'arbre à côté, histoire de reprendre mes esprits et de retourner à la réalité. J'attend de voir ce qui va se passer, mais aussi pour récupérer la corde.
Face à moi, Sibylle et Corso, un idylle...

Ca y est.

La petite farandole s’est presque complètement écoulée par le pont de singe. Un vrai gruyère d’ailleurs que ce foutu machin.

Reste la pyromane.

Je sais parfaitement que si l’un d’entre nous reste de ce côté, les chevaliers au grand cœur reviendront à brides rabattues pour retraverser, tirer des flammes la pauvre victime et cætera. Et si Rick a fait l’andouille pour montrer à la robocop femelle qu’il n’y avait rien à craindre, il n’est pas question qu’il le retraverse.

Je m’approche de la fillette boudeuse à la moue fermement déterminée à faire chier le monde.

« Mademoiselle, les lieux ne sont maintenant plus sûrs, comme vous l’escomptiez. Ayez, s’il vous plaît, la bonté de bien vouloir passer ce précipice. »

Dans un mouvement digne et lent je me courbe vers elle et empoigne son bras pour l’aider à se relever. Mais si le geste se veut confortant et aimable, ma main est suffisamment ferme pour ne pas lui permettre de ruer. Je n’ai aucune envie de tergiverser ni de négocier quoi que ce soit.

Les flammes sont maintenant fortes et toute retraite est plus qu’exclue. Dans quelques secondes, l’incendie aura gagné les quelques mètres carrés qui nous restent encore.

Debout.
Avance petite, avance. Je n’ai pas le droit de mourir ici. J’ai encore des choses à faire.

Le feu est sur nos talons. Si elle traîne encore je serai obligé de m’engager en même temps qu’elle. La presser, la faire accélérer sans pour autant la braquer. Les cendres blanchies par la chaleur volètent autour de nous et les fumées commencent à être étouffantes. Si jamais ce tunnel ne débouche sur rien, nous nous serons jetés tout seuls dans le pire trou à rats possible.

Mieux vaut en rester à l’instant présent.

« Qui vous dit, mademoiselle, que je tient à la vie ? La survie n’est parfois plus qu’un réflexe.

Où un moyen d’aboutir à un autre but.

Mais, je vous prie, avancez. Si l’incendie gagne le pont, nous n’en serons pas plus avancés. »

Je pose mes mains sur les cordages végétaux qui structurent la passerelle. Vérole, la chaleur devient insoutenable, et toujours associée à ces odeurs nauséabondes. Un voyage dans le fondement du diable serait plus frais qu’un séjour ici.

Qu’elle avance. Qu’elle avance. Je ne mourrai pas brûlé. Mon visage se crispe et je vise déjà de l’œil droit les endroits ou je pourrai jeter mes pas avec le moins de risque. C’est qu’il y a des failles dans le tablier de l’édifice. En une quinzaine de pas je devrais être de l’autre côté. Quinze. Si la demoiselle ne décide pas de tenir un salon aérien.

Une chansonnette d’enfant et la revêche se fige. Elle se retourne face à moi et regarde par-dessus mon épaule. Sur son visage se plaque un masque de terreur désespérée. Une voix claque et s’assombrit, hurlant ce qui doit être le prénom de la fillette. Céli.

Car finalement elle n’est que cela, une gamine balancée dans une aventure qui la malmène plus que de raison, déchirée par les évènements et son passé. Une petite qui ne sait pas où est sa place.

Elle s’écroule là, sur les planches vermoulues de ce plongeoir ridicule.

Je regarde un instant dans mon dos. Qu’est-ce qui…

Vérole ! Un wolverine sans perruque ni maquillage a décidé de s’attaquer aux maigres filins qui retiennent le pont au sol. Ca comme à ressembler de plus en plus à une mauvaise série Z ici. Mais pas le temps pour les sarcasmes.

Je dois passer. Et mon saint patron reprend ses droits. Sans plus réfléchir, je charge d’un coup de rein la pitchoune sur mon dos. C’est à ce moment que ma jambe me rappelle qu’elle a subit quelques avaries et que la situation actuelle ne va pas sans aggraver son état.

Foin de raison, l’urgence prime. Mon poids sur le pont ? Ma charge qui fait ployer le bois et qui brise les planches. Mes mains qui nous tractent de toutes mes forces ? Les lianes qui fendent mes paumes ? Le sang qui voile ma vue ? Les flammes, derrière, qui soufflent leur haleine délétère ? Le bruit du cable végétal qui vient de lâcher ? Le pont qui bascule sur la gauche, autour du seul cable qui lui reste ? Le bond qui me propulse sur les derniers mètres ?

Non, je ne vois pas de quoi tu parles.

Je suis de l’autre côté. Sur mes genoux en sang et les mains crispées jusqu’à la paralysie sur les cuisses et les épaules de Céli, je cherche sans le retrouver le chemn qui permet à l’oxygène de parvenir jusqu’à mes poumons.

Tout feu, tout flamme.
L'odeur âcre de la fumée blanche qui s'élève du brasier me pique les yeux.
Mais pourtant, j'ai le regard fixe vers cette masse rougeoyante qui gagne à chaque seconde toujours plus de terrain.
Une femme fatale, à la fois si belle et si dangereuse.
Le feu m'a toujours attiré, entre la peur et la fascination.

Un hurlement s'élève, celui d'un condamné. A travers les flammes une forme se dessine.
Un nom. "Céli".
Un enfant brûle, une ombre que j'avais aperçue auparavant, lors de la croisière.
Près de moi, sa soeur est désemparée. Elle voudrait y aller, mais il est trop tard.
Leurs cris me glacent le sang, mais ils ne m'émeuvent pas.

Tout se paye un jour.
Elle a mis le feu, et le brasier dévore son frère.
C'est un peu cliché mais, on dit que : "Qui sème le vent, récolte la tempête"
Désolé, mais je n'aurai aucune compassion.

Les yeux rivés vers les flammes, où une mort appelle une naissance.
Un homme... Ou plutôt ce qui en reste sort de la fournaise.
Cette apparence, est comme l'odeur qui me parvient : Brûlée.
Il rit, peut être est il heureux de venir au monde...
A ses doigts, des lames, posées sur la corde du pont.
Ne jugeons pas trop vite... Peut être sait il que pour lui sonne le glas.
Etrange... Mais dans ce cas, pourquoi ce rire ?

Sybille s'approche, un couteau à la main, et tranche la dernière corde.
C'est à n'y rien comprendre. Pourquoi a telle fait ça ?
Le brûlé aurait peut être pu nous guider a travers l'île.
Au lieu de ça, elle a préféré n'en faire qu'a sa tête, sans en parler.

Il n'y a que trois manières de vivre en communauté.
Avec moi. Contre moi. Et sans moi. Ni plus ni moins.
Inutile de dire celle qui s'impose ici.
Bras croisés, je regarde le petit groupe, attendant patiemment la suite des évènements.

Je suis passé avant Céli, accroché à Sibylle comme à une amarre, j'attendais que Mike, et la demoiselle sans vie mais si présente, se décident se décident à franchir le Rubicond. Le gfeu qu'elle avait allumé léchait le précipice. Brouillard et fumée d'incendie se mélangeaient, indescriptible. Dans ses vapeurs nauséabondes, j'ai vu soudain une forme se préciser, hideuse, haineuse, aussi terrifiante que les choses dans la clairière.

Céli, se bloque au milieu du pont, comme si elle reconnaissait quelqu'un dans l'être torturé sur l'autre rive. Mike joue son vatout et fonce. Je suis tendu, crispé contre ma compagne tout aussi prise par le spectacle. On voudrait les aider, mais ce satané pont branle tant et si bien que rien n'est possible. Je remarque inconsciemment que j'ai voulu aider Mike. Un changement dans ma façon de voir les récents évènements ? Rien du tout. Reflexe de survie...

Ils sont passés, dans un sale état, mais saufs ! Le pont ne tient plus que par des éclats de guindes et trois planches vicieuses. Je reste hypnotisé, inutile, comme temme subjugué par le danger, la chose née du brouillard qui nous fixe sur l'autre rive et s'apprette surement à passer.

Sibylle, ma sorcière, fragile et menue en apparence mais qui rescelle des réserves insoupçonnables, une energie débordante, une réactivité impressionnante. Quand moi je ressemble à un vieux poteau inutile planté en terre. Ses mains qui glissent sur ma taille. Je ne réagis pas au serpent fouisseur, juste un regard surpris. Est-ce que c'est le moment ? Mais non ! Elle a saisi mon vieux couteau dans son fourreaude cuir rapé, le seul souvenir qu'il me reste d'une vie qui me parait si lointaine. Clac, fait la corde quand elle cède. Elle tombe à genoux tout près d'eux, ses yeux cherchent leur regard, je sens qu'elle veut les aider.

" La faille ! Grouillons nous ! C'est par là que c'est barré Rick ! "

J'entends Rick d'une oreille distraite, je retiens juste sa colère, mais il l'a bien cherchée. Focalisée sur les derniers de l'autre côté de la berge, j'observe James passer sans encombre, puis Mike qui pousse Céli à franchir le pont de singe et le feu d'enfler derrière eux. Et soudain tout s'emballe.

Un cri, une chanson, une horreur défigurée qui sort des flammes. Céli qui s'arrête, qui tire une tronche qui ne me dit rien de bond. Elle et Mike sur le pont alors que la créature s'avance et titille d'une de ses griffes métalliques la corde du pont. J'ai peur pour eux et j'ai envie de leur hurler de se dépêcher. Mais mon cri reste bloqué dans mon gosier. Spectatrice muette, je ne peux rien faire.

Mike embarque Céli se dépêche d'avancer. Mes doigts sont crispés, je les tords dans tous les sens, anxieuse de les voir arriver à bon port, de les voir près de nous en sécurité. Et ça se passe grâce au bons sens de Mike.

Ils sont là avachi à terre, et je les regarde sans rien faire. Parce que je ne sais pas quoi faire. Et que j'ai surtout peur de me laisser encore dominer par ma colère. C'est Sibylle qui prend les choses en main. C'est bien la dernière personne à qui j'aurai pensé. Elle s'éloigne de Corso avec une lame et coupe la dernière corde tenant le pont. Sauvé par elle, enfin pour un temps. Et elle s'approche de Mike avec la pierre aux vertus bienfaisante, s'accroupit à côté de Mike et de Céli.

Céli... apathique... qu'est ce qui s'est passé... j'aimerai bien le savoir...

Quant à Mike.... commençant à cerner le personnage, je crains qu'il ne refuse l'aide de sibylle alors qu'il en a besoin. C'est seulement maintenant, que je décide de me bouger, de servir au moins à quelque chose et parce que j'ai besoin de sentir Mike, de me rassurer en le touchant et de le rassurer par là même.

A mon tour, je m'accroupis à côté de Sibylle, et je lui souris timidement pour lui montrer que je suis là, non pas pour frapper ou faire une esclandre, mais pour l'aider dans sa tâche.

Une main posée sur l'épaule de Mike... Mike, laissez vous soigner... Votre bon sens et vos capacités nous seront d'une grande utilité... Et il est grand temps que nous avancions pour mettre le plus de distance entre cette créature et nous !

Je me penche vers son oreille et murmure... Kristoff... je sais que vous êtes là... alors s'il vous plaît faites ce qui est bon pour vous, pour nous deux, et pour les autres...

Un filet d’air revient, sifflant comme une bouilloire en mal de thé. Le sang goutte de mon visage et j’ai les tempes qui vont exploser. Je serre encore contre moi le corps de Céli qui murmure. Mes oreilles bourdonnent.

Je laisse glisser la fillette de mes bras et la dépose au sol. Son visage fait penser à un tableau de Munch. Mais en noir et blanc. Elle est tout à la fois abattue et terrorisée. Cette île n’est pas souveraine pour retrouver un psychisme correct je le crains…

Les secours arrivent, la fille du bateau puis Kheira. Je leur laisse mon fardeau. Faut passer un peu le relais. D’autant plus que là, je ne pourrais pas faire grand-chose dans le cas de la demoiselle, et question soutien psychologique, elles doivent être mieux équipées que moi.

Mais Rick ?
Corso crie qu’il est parti vers la faille. Là-bas, donc… qu’est-ce qu’il est allé foutre dans cette grotte ? Un refuge ? Une sortie peut-être… On verra bien…

Kheira me parle, m’appelle par mon prénom, parle de nous deux… Je ne vois pas très bien où elle veut en venir mais…

« Vous avez raison, nous devons prendre le large rapidement. »

Péniblement, je me remets sur mes guiboles. Entre la blessure de l’autre monstre et les croûtes aux genoux façon cour de récré, elles ont l’air d’occase mes cannes.

« Mesdemoiselles, si vous voulez bien me permettre de clore la marche… Je vous laisse prendre en charge mademoiselle… Céli je crois. »