La boutique du fleuriste

Le souffle court et le cœur au bord des lèvres, je m’arrête.
Il me faut une planque, juste le temps que la bestiole à mes trousses trouve une autre proie.

Ne prêtant que très peu d’attention à mon environnement, c’est mon odorat qui m’indique une étrange sensation. Truffe en l’air, comme le faisait les barbares des montagnes, j’hume donc l’air environnant.
Sublime du sublime, mélange délicat des fragrances enivrantes.
L’odorat ! Ici il ne pourra me trouver, je vais me cacher dans cette demeure… le temps d’y voir plus clair.

Marchant sur l’allée aux mille éclats, je m’étonne de ce jardin d’Eden au milieu de nulle part. Pensant à mon camouflage olfactif, j’entreprends de cueillir quelques unes des fleurs les plus odorantes possibles afin de m’en badigeonner le corps.

Prenant de l’assurance dans l’affrontement à l’élément végétal, c’est de bon cœur que je confectionne des bouquets entiers de parfum des plus fort, quittant de quelques mètres le chemin de pierre.

Le nez planté dans les massifs de lavandes, marguerites et roses, c’est sans délicatesse que je saisis les fleurs qui s’offrent à ma portée.
Attrapant avec engouement la tige d’un rosier…
Aie, mais ça pique !

Approchant le doigt à quelques centimètres de mes yeux, me faisant presque loucher. J’observe le liquide écarlate et velouté qui perle au bout de la pulpe…
Oh, mon sang ! presque étonné… avant de m’écrouler dans un massif de mufliers.

De là-haut, elle a l’air en effet contrariée, mais peut être que…

Penaud, je me relève et tente de remettre en ordre mes autours. Je regarde la femme que la providence m’a envoyée.

Ah oui ! D’ici aussi...

Je contemple les dégâts que j’ai occasionnés…
Bon, là ça va être compliqué… Réfléchit !!!
Je me nomme Maël D’Adélaïde… Mais ne restons pas là… c’est dangereux, mettons nous à l’abri.
Oui, c’est ça !
Regardant derrière moi, une expression de panique traversant mes traits.
La pressant en directions de l’habitation en chuchotant,
Je suis poursuivi par une terrible créature…
Se tassant comme pour se dissimuler.
Un horrible troll du chaos, un des plus grand que j’ai pu rencontré jusqu’alors ! Aussi quand j’ai vu ces fleurs… J’ai pensé qu’une telle créature traquait ses proies à l’odorat… Et voilà tout…
Je suis navré pour vos fleurs… forts belles à ce propos. Ne vous inquiétez pas, ensemble nous allons déjouer la perfidie de ce diable.

Caché derrière un massif de datura, la jeune femme ouvre la bouche. Je pose mon index sur ses lèvres délicieuses…
Chut, si cela se trouve il rôde encore…

Lâchant un soupire de soulagement…
J’ai eu chaud !

Dans les prunelles de la belle danse une radieuse lueur, joli minois, courbes agréables, belle parure… décidément ce n’était vraiment pas mon genre que celui de refuser une invitation pareille.
Franchissant le seuil de la maison après un quart de seconde d’hésitation, le temps de peser le pour et… le pour, j’entre en là demeure de la jolie nymphe.
Fermant la porte avec douceur, et jetant un dernier regard inquiet par la fenêtre. Je pose le dos et les paumes à plat sur la porte.

Je vous dédommagerais pour les dégâts, mademoiselle…
Levant un sourcils interrogateur.

Charmé Cornelia, charmé…
Une tisane de mauvais goût, mais en si charmante compagnie…
S’asseyant à la table mon regard parcours les courbes gracieuses de la jeune femme, s’attardant sur sa chevelure aux éclats d’or, ses épaules fragiles.

Ah le troll, il rodait au abord du village lorsque je suis arrivé. Il est grand, vert…
Faisant un effort de concentration,
Et possède une mâchoire aux multiples rangés de dents effilées qui broierait une colonne vertébrale d’une simple pression. J’ai bien tenté de le faire fuir, ferraillant avec lui, mais ses longs bras puissants lui donnent une allonge redoutable. Le combat inégal, j’ai décidé de l’éloigner du village. Aussi dans une course effrénée, j’ai amené la créature jusqu’à un ruisseau que j’ai remonté, afin de brouiller ma piste. Finalement, je ne sais plus trop comment je suis arrivé jusqu’ici, j’ai terminé mon équipé dans votre merveilleux jardin…

Je vais peut être tenter de lui faire oublier ce souvenir douloureux… En tout cas, je vais éviter de m'épencher dessus.
Et suis tombé d’épuisement, m’avait il semblé… Mais vous me dite qu’il s’agit d’un rosier aux propriété soporifique, je comprends mieux maintenant.

Je termine mon discours un pincement au cœur d’avoir à ce point détourné les évènements.

J’observe la jeune femme affairée. Rougissant soudainement ému, mon souffle se fait court et la bouche sèche… Sifflant intérieurement, presque envoûté…
Ca c’est un sacré brin de femme.
Cornelia est si belle.
Je vis un rêve éveillé…

Elle se retourne, tenant un plateau portant deux grandes tasses de porcelaine, une tisanière et un pot de miel. Elle lui sourit toujours et ses yeux pétillent d'amusement.

- Soporifique, en effet... Entre autres. Il a d'autres propriétés, et je doute que vous désiriez les découvrir sans certaines précautions... Vous avez saisi cette tige à pleines mains, et la dose est un peu trop forte...

Elle pose son plateau, emplit une tasse d'un liquide fumant d'une belle couleur violette. Elle la lui tend, ainsi que le pot de miel.

- Le goût est assez âcre, mais le miel le rend supportable... Je vais vous accompagner, au moins nous grimacerons ensemble !

Elle rit légerement en lui tendant sa tasse, et s'assied en levant la sienne.

D’autres effets, j’ai donc été empoisonné par le fourbe végétal… Empoissonné !
Soudainement submergé par une nouvelle vague émotionnelle, je saisi la tasse d’une main tremblante.
Je lui lance un regard plein de gratitude, puis observe l’œil circonspect à la surface de l’eau violette. L’odeur, quant à elle, laisse présager une expérience des plus mémorable.

Je relève le nez, souris de nouveau à la belle.
Et si c’était elle qui souhaitait m’empoisonner…
Non, elle n’en boirait pas aussi, à moi qu’elle n’a absorbé l’antidote auparavant. Du poison ou pire, un sérum de vérité…

Considérant le liquide à la couleur étrange…
Bof, de toute façon l’effet ne durait pas assez longtemps pour me faire tout avouer.
Un philtre d’amour, oui c’est ça ! Elle a eu le coup de foudre et souhaite m’asservir pour l’éternité. C’est un peu inutile de me faire absorber quoique ce soit avec de telles prunelles.
Je tergiverse, mais ça ne résout rien… Et si j’étais réellement empoissonné…

Attrapant la tasse à deux mains, je regarde Cornelia, pour goûter une dernière fois à cette vision idyllique, si elle s’avérait être le finale de mon existence.
Courage…
Assemblant les miettes de cette vertu dont je n’ai jamais été un digne représentant…
J’en avale d’un trait le contenu et dégluti le plus rapidement possible afin d’en éviter le goût.
Amer, c’est peu de le dire.
Je repose la tasse de porcelaine… Une grimace sans doute comique sur le visage, me devant un éclat de rire cristallin de la jeune femme.

Reprenant le contrôle de mon palais au bout de quelques instants, les yeux humectés par l’expérience, je lâche :
J’espère que ce n’est pas là tout l’étendu de vos talents culinaires.
Le tout assaisonné d’un clin d’œil presque polisson.

Riant de bon cœur, je finis par lever un sourcil perplexe.
J’espère qu’une telle dose d’antidote, n’aura d’effet adverse. Toutefois, je suis heureux de votre sollicitude. Mais…
Saisissant, caressant presque, la main et tasse de la jeune femme, je les accompagne vers la table.
Je vous en prie ne me privez pas de ce si jolie sourire, c’est si plaisant de voir vos yeux rirent…

Que fait une si jolie jeune fille comme vous, seule dans une si grande maison ?
La question méritait d’être posée avant d’aller plus loin, et surtout la réponse qu’elle suggérait. Toutefois pour faire bonne mesure, j’accommodais cette interrogation d’un petit sourire engageant.
Je me sentais rougir, ma main touchait toujours la sienne…

Le vent se lève sur les derniers rayons de soleil disparaissant à l’horizon, cédant le pas aux ténèbres.
La belle se détourne.
Qu’ai je donc dit ?

L’Ombre s’agite devant moi, avare de parole, elle me désigne une direction… et me susurre mon prénom…
C’en est trop !
Les pieds de la chaise se dérobent, ou peut être est ce moi qui tombe à la renverse, et je me retrouve au sol, pris d’un subit et inattendu malaise.

La lumière revient, plus vive… Je n'ai pas eu le temps de perdre connaissance.
Impossible de cacher ma terreur, je me relève agité. Le monde tourne.

La créature m’a montré la direction à suivre, peut être devrais-je me rendre à l’opposé ?

Qui est-il ?
La question tonne, mais trahit l'angoisse qui m'envahit.

Je me fige et observe la belle.
Ses yeux reflétent l’innocence même, dans ses traits je ne peux lire que l’inquiétude que suscite mon état. Rien, ni fourberie, ni même trahison ne se cache sous ce minois si naïf.
En temps normal, je me serais régalé d’abuser de la jeune ingénue.
Mais à présent une angoisse me taraude, un cadavre ambulant vient me hanter. Immondice que je suis le seul à percevoir. Les lieux, maintenant la nuit tombée, ne sont plus que des refuges pour les ombres et des assassins qui vous guettent, prêt à vous détrousser.
Sans parler de ce troll qui rôde dans la forêt…
M’infligeant une gifle mentale,
Tu dérailles totalement l’ami, celui-ci tu l’as inventé !

Peut-être y avait-il une place pour moi cette nuit au giron de Cornelia ?
Mais en écho à cette question résonne cette si terrible et étrange impression que tout les évènements vont conspirés pour m’amener au lieu désigné par l’épouvantail décharné.


Portant mon attention à la blonde, et cherchant à dissiper cette ombre d’inquiétude qui parcoure ces traits si doux.
Ce n’est rien juste, une façon d’éloigner le mauvais sort dans mon lointain pays.
Je souris en demi-teinte,
Toutefois, je suis homme d’obligation et le maire m’attend me semble t’il. Aussi je me dois de prendre congé de vous, à contre cœur il est vrai.
Je se surprend une fois de plus à être sincère, non pas sur ‘l’homme d’obligation’ mais sur le fait que devoir la quitter me peine profondément.
Cette femme m’a fait dire plus de vérité et de demi-vérité qu’au cours de cette dernière année.
Pour un homme de ma condition voila bien une attitude très… dangereuse.

Avec douceur, je lui baise la joue. Baiser raté, baisé glissé, baisé trop désiré ?.. S’est la commissure labiale que j’embrasse finalement, goûtant à l’effleurement de ses lèvres.
Echange de regard surpris… Sourires gênés…
Merci encore pour vos bons soins...
Après un dernier signe de tête et à reculons, je prends congé.
Gêné ! C’est digue, je devrais être heureux ! Je suis un opportuniste ! Je suis un opportuniste !.. Je suis un vrai abruti !

…Je pénétre désormais dans la nuit noir, glacée, inquiétante…

(Hrp : direction la maison du Maire)